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rait nous contenir tous, et nous faire vivre au gré de notre orgueil ou de notre ambition ; tirons-la au sort, ou bien essayons nos forces ; que les plus habiles l’emportent, et que les vaincus s’en aillent pieds nus sur la route pénible de la vie, chercher un coin stérile où notre orgueil dédaigne de les poursuivre ? Direz-vous que la terre est assez grande, et qu’il y a partout du travail ? Oui, il y a partout de l’espace et des ressources pour les hommes qui s’entraident. Il n’y en a pas, non, l’univers n’est pas assez grand pour des hommes qui veulent s’isoler ou se disperser en petits groupes haineux et jaloux. Ne voyez-vous donc pas le monde des riches ? ne vous êtes-vous jamais demandé de quel droit ils naissent heureux, et pour quel crime vous vivez et mourez dans la misère ? pourquoi ils jouissent dans le repos, tandis que vous travaillez dans la peine ? Qu’est-ce donc que cela signifie ? Les prêtres vous diront que Dieu le veut ainsi ; mais êtes-vous bien sûrs que Dieu le veuille ainsi en effet ? Non, n’est-ce pas ? Vous êtes sûrs du contraire ; autrement vous seriez des impies, des idolâtres, et vous croiriez en un Dieu plus méchant que le diable, ennemi de la justice et du genre humain. Eh bien ! voulez-vous que je vous dise comment s’est établie la richesse et comment s’est perpétuée la pauvreté ? Par le savoir-faire des uns, et par la simplicité des autres. C’est pour cela que les simples ont accepté leur défaite et leur exclusion du partage de tous les biens et de tous les honneurs ; car les habiles leur ont prouvé que cela devait être ainsi. Et voilà qu’il y a eu tant et tant de simples, que vos pères et vous avez été condamnés a travailler pour les riches sans vous plaindre et sans vous lasser. Vous trouvez cela fort injuste. Du matin au soir je l’entends dire, et je le dis moi-même. Ce que vous trouvez injuste contre vous, trouveriez-vous donc juste de le faire souffrir aux autres ?