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Et il remarqua aussi que la Savinienne lui répondit :

— Non, je les servirai, moi ; couche les enfants.

Puis elle donna un baiser à chacun d’eux, et porta le souper au Corinthien avec un empressement qui trahissait une secrète sollicitude. Elle servit aussi Huguenin avec le soin, la bonne grâce et la propreté qui faisaient d’elle la perle des Mères, au dire de tous les compagnons. Mais une invincible préférence la faisait passer et repasser sans cesse derrière la chaise du Corinthien. Elle ne le regardait pas, elle ne l’effleurait pas en se penchant sur lui pour le servir ; mais elle prévenait tous ses besoins, et se tourmentait intérieurement de voir qu’il faisait d’inutiles efforts pour manger.

— Chers compagnons fidèles ! dit Lyonnais la-Belle-conduite en remplissant son verre, je bois à la santé de Villepreux l’Ami-du-trait et de Nantais le Corinthien, sans séparer leurs noms ; car leurs cœurs sont unis pour la vie. Ils sont frères en Salomon, et leur amitié rappelle celle de notre poëte Nantais Prêt-à-bien-faire pour son cher Percheron.

Et il entonna d’une voix mâle ces deux vers du poëte menuisier :


Les hommes qui n’ont pas d’amis
Sont bien malheureux sur la terre.


— Bien dit, mais mal chanté, dit Bordelais le Cœur-aimable.

— Comment, mal chanté ! se récria Lyonnais la-Belle-conduite. Voulez-vous que je vous chante :


Gloire à Percheron-le-chapiteau,
Rendons hommage à sa science… ?


— Mal ! mal ! toujours plus mal ! reprit le Cœur-aimable. On chante toujours mal quand on chante mal à propos.