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AVANT-PROPOS

Faire l’histoire des sociétés secrètes depuis l’antiquité jusqu’à nos jours serait une tâche bien utile, bien intéressante, mais qui dépasse nos forces. On l’a tenté plusieurs fois ; mais, quel que soit le mérite des divers travaux entrepris sur cette matière, ils n’ont pas encore jeté une bien grande clarté sur ces associations mystérieuses, où se sont élaborées tant de vérités importantes, mêlées à tant d’erreurs étranges.

Les sociétés secrètes ont été jusqu’ici une nécessité des empires. L’inégalité régnant dans ces empires, l’égalité a dû nécessairement chercher l’ombre et le mystère pour travailler à son œuvre divine. Quand la sainte philosophie du Christianisme était proscrite du sol romain, il fallait bien qu’elle se cachât dans les catacombes.

On peut dire qu’il ne se commet pas dans les sociétés humaines, une seule injustice, une seule violation du principe de l’égalité, qu’à l’instant même il n’y ait un germe de société secrète implanté aussi dans le monde, pour réparer cette injustice et punir cette violation de l’égalité. Quand les patriciens de Rome immolèrent Tibérius Gracchus, il prit une poignée de poussière et la jeta vers le ciel ; cette poussière jetée vers le ciel dut enfanter une société secrète, une société de vengeurs qui travailleraient dans l’ombre à l’œuvre que l’on proscrivait et que l’on martyrisait à la lumière du jour.

Comment tomba la république romaine, et comment tombent les empires, sinon parce qu’à la cité patente se substituent obscurément toutes sortes de cités secrètes,