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partageait avec angoisse les souffrances de l’acteur sans songer à s’en prendre aux fantaisies du récitant.

Se servir de ses avantages et n’en pas abuser, c’est la science du maître de jeu ; lorsqu’il s’en sert bien, la fiction prend une couleur de vitalité frappante. Un de nos amis, auteur dramatique d’un ordre supérieur, assista un jour à une pièce militaire du répertoire, et son attention n’eut pas un sourire, nous pensions qu’il s’ennuyait d’un passe-temps si léger. Le lendemain, il nous dit ; « Je n’ai pas dormi de la nuit et je ne voudrais pas voir souvent ce théâtre. Il m’a bouleversé, il m’a fait douter de l’art ; je me suis demandé ce que valaient nos conventions, à côté de ce dialogue libre, vulgaire, rompu ou renoué comme dans la réalité, de ces expressions spontanées si bien appropriées à la situation, de ce pêle-mêle d’entrées et de sorties, ingénieux résumé de l’agitation et du tumulte. J’ai oublié absolument hier soir que je voyais des marionnettes ; je me suis cru dans la forêt de l’Argonne, attelant précipitamment le cheval de la vivandière, me couchant comme le jeune conscrit pour éviter les coups de fusil, m’intéressant avec passion aux morts et aux blessés, et ne me souciant plus de la fiction littéraire que j’étais hors d’état de juger, tant