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hommes. Elles s’expriment facilement, abondamment. Elles racontent d’une manière remarquable, et il y en a plusieurs que j’ai écoutées des heures entières à mon grand profit. Au sortir du pathos à la mode, et de cette langue chatoyante, vague, et pleine de brillants contre-sens de la littérature actuelle, il me semblait que la logique de mon cerveau se retrempait dans cette simplicité riche, et dans cette justesse d’expressions que conservent les esprits sans culture.

Il faudrait pouvoir retrouver et retracer l’histoire de la Vallée-Noire. Je ne la sais point, mais je crois pouvoir la résumer par induction. Presque nulle part on ne retrouve de titres, et la révolution a fait une telle lacune dans les esprits, que tout ce qui existait la veille de ces grands jours n’a laissé que des traditions vagues et contradictoires. Seul, dans ma paroisse, j’ai mis la main sur quelques parchemins relatifs à Nohant, et aux seigneuries qui en relevaient, ou dont relevait Nohant. Voici ce que je crois pouvoir conclure des relations de paysans à seigneurs.

Depuis trois cents ans environ, Nohant, Saint-Chartier, Vieille-Ville, et plusieurs autres domaines de la Vallée-Noire étaient tombés en quenouille. C’étaient des héritages de vieilles filles, de nobles veuves ou de mineurs. Ces domaines étaient de moins en moins habités et surveillés par des maîtres actifs, et la gestion en était confiée à des hommes de loi, tabellions et procureurs, qui n’exigeaient, pour le maître absent ou débonnaire, ni corvées, ni redevances, ni prestation de foi et hommage. Les paysans prirent donc la douce habitude de ne se point gêner, et quand la révolution arriva, ils étaient si bien dégagés, par le fait, des liens de la féodalité, qu’ils n’exercèrent de vengeance contre personne. La conduite de M. de Serenne, gouverneur de Vierzon et seigneur de