Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viennent plus rares, les horizons moins harmonieux, les terres plus froides. Mais l’aspect de cette région transitoire et grandiose, quand le soleil fait étinceler les flaques d’eau en s’abaissant derrière les buttes inégales où la bruyère commence à se montrer, plante folle et charmante, qui s’étale fièrement à côté du dernier sillon tracé par le laboureur sur cette limite du fromental généreux et de la brande inféconde.

Bon voyageur, tu tâcheras de ne pas te tromper de chemin, car tu pourrais courir longtemps avant de trouver l’Indre guéable. Pour rentrer dans la Vallée-Noire, tu demanderas Fourche ; car si tu prends par Mers (et je te conseille Mers et Presles pour le lendemain), tu ne verrais pas ce soir un coin de bois qu’il faut traverser avant Fourche, et qui est, sur ma parole, un joli coin de bois. Le petit castel du Magnié, les jardins et les bois si bien plantés et si bien situés qui l’entourent, son air d’abandon, son silence et sa poésie, ont bien aussi leur mérite.

Mais, dans cette tournée, où mangeras-tu, où dormiras-tu, où trouveras-tu du café, des journaux, des cigares, et quelqu’un à qui parler ? Nulle part, je t’en préviens. Tu feras comme tu pourras, et même, pour te diriger à travers ce labyrinthe de chemins verdoyants et perfides, tu trouveras peu d’aide. Les passants sont rares, les métairies sont vides à la saison des travaux d’été, seule saison où le pays ne soit pas inondé et impraticable. Tu n’es pas ici en Suisse ; si tu demandes à un paysan de te servir de guide, il te répondra en riant : « Bah ! est-ce que j’ai le temps ? J’ai mes bœufs, mes blés ou mes foins à rentrer. » Si tu demandes à Angibault le chemin du Lys-Saint-George, on te dira : « Ma foi ! c’est quelque part par là. Je n’y ai jamais été. » Le meunier peut connaître le pays à une lieue à la ronde, mais sa