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est resté dans le port sur un vaisseau qui nous appartient et qui apporte à Venise une belle cargaison de soie blanche. Il m’a chargée de plaider sa cause, de vous peindre son repentir et d’implorer sa grâce.

— Jamais ! jamais ! » s’écria la princesse.

Cependant elle s’adoucit en recevant de la part de son infidèle sigisbé un cachemire si magnifique, qu’elle oublia tout ce qu’il y avait d’étrange et d’intéressant dans le retour de Mattea pour examiner ce beau présent, l’essayer et le draper sur ses épaules. Quand elle en eut admiré l’effet, elle parla de Timothée avec moins d’aigreur, et demanda depuis quand il était armateur et négociant pour son compte.

« Depuis qu’il est mon époux, répondit Mattea, et qu’Abul lui a fait un prêt de cinq mille sequins pour commencer sa fortune.

— Eh quoi ! vous avez épousé Zacharias ? s’écria Veneranda, qui voyait dès lors en Mattea une rivale  ; c’était donc de vous qu’il était amoureux lorsqu’il me faisait ici de si beaux serments et de si beaux quatrains ? Ô perfidie d’un petit serpent réchauffé dans mon sein ! Ce n’est pas que j’aie jamais aimé ce freluquet  ; Dieu merci, mon cœur superbe à toujours résisté aux traits de l’amour  ; mais c’est un affront que vous m’avez fait l’un et l’autre…

— Hélas ! non, ma bonne marraine, répondit Mattea, qui avait pris un peu de la fourberie moqueuse de son mari  ; Timothée était réellement fou d’amour pour vous. Rassemblez bien vos souvenirs, vous ne pourrez en douter. Il songeait à se tuer par désespoir de vos dédains. Vous savez que de mon côté j’avais mis dans ma petite cervelle une passion imaginaire pour notre respectable patron Abul-Amet. Nous partîmes ensemble, moi pour suivre l’objet de mon fol amour, Timothée pour fuir vos rigueurs, qui le rendaient le plus malheureux des hom-