Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/270

Cette page n’a pas encore été corrigée

fuir à jamais, car elle est faible et dévote. Si Abul veut me faire avertir le jour de son départ, s’il consent à me faire passer en Grèce sur son brigantin, je fuirai, et j’irai travailler toute ma vie dans ses ateliers pour lui prouver ma reconnaissance…

— Dois-je dire aussi votre amour ? dit Timothée d’un ton respectueux, mais insinuant.

— Je ne pense pas qu’il soit question de cela, ni dans ma lettre, ni dans ce que je viens de vous dire, répondit Mattea en passant d’une pâleur livide à une vive rougeur de colère  ; je trouve votre question étrange et cruelle dans la position où je suis  ; j’avais cru jusqu’ici à de l’amitié de votre part. Je vois bien que la démarche que je fais m’ôte votre estime  ; mais en quoi prouve-t-elle, je vous prie, que j’aie de l’amour pour Abul-Amet ?

— C’est bon, pensa Timothée, c’est une fille sans cervelle, et non pas sans cœur. » Il lui fit d’humbles excuses, l’assura qu’elle avait droit au secours et au respect de son maître, ainsi qu’aux siens, et s’adressant à Abul :

« Seigneur mon maître, qui avez été toujours si doux et si généreux envers moi, lui dit-il, voulez-vous accorder à cette fille la grâce qu’elle demande, et à votre serviteur fidèle celle qu’il va vous demander ?

— Parle, répondit Abul  ; je n’ai rien à refuser à un serviteur et à un ami tel que toi.

— Eh bien ! dit Timothée, cette fille, qui est ma fiancée et qui s’est engagée à moi par des promesses sacrées, vous demande la grâce de partir avec nous sur votre brigantin, et d’aller s’établir dans votre atelier à Scio  ; et moi je vous demande la permission de l’emmener et d’en faire ma femme. C’est une fille qui s’entend au commerce et qui m’aidera dans la gestion de nos affaires.

— Il n’est pas besoin qu’elle soit utile à mes affaires, répondit gravement Abul  ; il suffit qu’elle soit fiancée à