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DE M. ANTOINE.

Les étoiles du ciel ne virent pas cet étrange rapprochement ; car d’épais nuages voilaient leur face, et la mère Malot, seule témoin de cette aventure inouïe, n’eut pas l’esprit assez libre pour se livrer à de longs commentaires. Le marquis lui avait mis sa bourse dans la main en franchissant le seuil de sa maison, et elle passa le reste de la nuit à compter les beaux écus qu’elle contenait et à soigner ses petits, en disant : « Cette chère demoiselle, c’est elle qui nous a porté bonheur ! »

Le marquis prit les rênes, ne voulant pas souffrir que son aimable compagne eût la peine de le conduire. Jean s’arma du fouet pour stimuler d’un bras vigoureux l’ardeur de la pauvre Lanterne. Gilberte, que Janille, dans la prévision de l’orage, avait munie d’un large parapluie et du vieux manteau de son père, en la laissant vaquer à ses habitudes charitables, s’occupa à préserver ses compagnons ; et comme le vent lui disputait le manteau, elle le fixa d’une main sur les épaules de M. de Boisguilbault, tandis que de l’autre elle soutenait le parapluie de toute sa force pour abriter la tête du vieillard avec un soin filial. Le marquis fut si touché de ces généreuses attentions, qu’il perdit toute sa timidité et lui exprima sa reconnaissance dans les termes les plus affectueux que le respect put lui permettre. Gilberte tremblait à l’idée que d’un moment à l’autre cette sympathie pouvait se changer en fureur, et le vieux Jean riait dans sa barbe, en recommandant toutes choses à la Providence.

Quoiqu’il ne fût guère plus de neuf heures, tout le monde était couché au château de Boisguilbault lorsque nos voyageurs y arrivèrent. Jamais personne autre que le vieux Martin ne s’occupait du maître après le coucher du soleil, et ce soir-là Martin ayant fermé le parc après avoir vu le marquis entrer dans son chalet, ne se doutait guère qu’il avait fait une sortie et qu’il courait les champs