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LE PÉCHÉ

chaumière, et là, lui mettant son tablier de cuir sur les épaules, il lui dit, en lui tirant les oreilles un peu fort, pour lui graver ses paroles dans la mémoire : « Cours à Châteaubrun, et dis à M. Antoine que Gilberte vient à Boisguilbault avec moi ; qu’il se tienne tranquille, que tout va bien de ce côté-là, et que dût-elle passer la nuit dehors, il ne faut pas qu’il s’inquiète. Entends-tu ? comprends-tu ?

— J’entends bien, mais je ne comprends guère, répondit Sylvain. Voulez-vous bien laisser mes oreilles, grand vilain Jean ?

— Je te les allongerai encore, si tu raisonnes ; et si tu fais mal ma commission, je te les arracherai demain.

— J’ai entendu, ça suffit ; lâchez-moi.

— Et si tu t’amuses en route, gare à toi !

— Pardié, il fait un joli temps pour s’amuser !

— Et si tu me perds ma peau de bique !…

— Pas si bête, elle ne me gâtera pas ! »

Et l’enfant se mit à courir vers les ruines, se dirigeant dans les ténèbres avec l’instinct d’un chat.

« À présent, dit Jean en sortant la brouette et la vieille jument de dessous le hangar, à nous deux, ma vieille brave Lanterne ! Ah ! monsieur Sacripant, ne vous fâchez pas, c’est moi ! Vous avez suivi votre jeune maîtresse, c’est bien ; mais M. le marquis, qui ne regarde pas les gens, n’a pas peur de regarder les chiens, et il pourrait vous connaître. Faites-moi le plaisir de suivre votre ami Charasson. Vous retournerez chez vous à pied, j’en suis désolé. » Et, allongeant deux grands coups de fouet au pauvre animal, il le força de s’enfuir en courant sur les traces de Sylvain. « Allons, monsieur le marquis, je vous attends ! » cria le charpentier. Et le marquis, vaincu par l’insistance de Gilberte, monta dans la brouette, où il se plaça entre elle et Jean Jappeloup.