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DE M. ANTOINE.

une dame ; elle dit que les chemins sont trop gâtés pour que vous marchiez, que vous êtes trop mouillé pour attendre ici votre voiture, qu’elle a un cabriolet avec un bon cheval, une vraie jument de curé qui ne se fâche et ne s’étonne de rien, et qui va assez vite quand on n’a pas le bras engourdi et qu’il y a une mèche au fouet. Dans un quart d’heure, vous serez rendu chez vous, au lieu que vous en avez pour une heure à patauger dans la boue et les cailloux. »

M. de Boisguilbault adressait des remerciements affectueux à la belle veuve, et ne voulait point accepter ; mais Gilberte insista elle-même avec une grâce irrésistible. « Je vous en supplie, monsieur le marquis, dit-elle en tournant vers lui ses beaux yeux encore effrayés comme ceux d’une colombe à demi apprivoisée, ne me faites pas le chagrin de me refuser ; ma voiture est laide, pauvre et crottée, mon cheval aussi ; mais l’un et l’autre sont solides. Je sais fort bien conduire, et Jean me ramènera.

— Mais cette course vous retardera trop, dit le marquis ; on sera inquiet chez vous.

— Non ! dit Jean ; voilà le page de M. le curé, celui qui lui sert sa messe et qui lui sonne la cloche ; c’est un drôle qui a bon pied, bon œil, et qui ne craint pas plus l’eau qu’une grenouille. Il a aux pattes des escarpins de chêne un peu plus solides que les vôtres, et il va marcher aussi vite vers Cuzion qu’un trait de scie dans une planche de sapin. Il dira qu’on n’ait pas à s’inquiéter ; que madame est en bonne compagnie, et que c’est le vieux Jean qui la ramène. Ainsi c’est dit ! — Écoute ici, l’éveillé, dit-il à Charasson, qui bâillait à se démettre la mâchoire et regardait, d’un air ébahi, M. de Boisguilbault ; viens que je te ranime un peu au grand air, et que je te mette sur ton chemin. »

Il traîna et porta presque Sylvain à quelques pas de la