Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LE PÉCHÉ

sommes. Comme ça tombe, mille millions de diables ! voilà juste le temps qu’il faisait le soir qu’Émile est arrivé dans ce pays-ci. Je l’ai rencontré sous une grosse pierre où il s’était mis à l’abri, et je ne savais guère qu’en m’appuyant là je mettais la main sur un ami, sur un vrai cœur d’homme, sur un trésor !

— Tu lui es donc fort, attaché ? Il avait essayé de me parler de toi bien souvent…

— Et vous ne vouliez pas le laisser dire ? Je m’en doute. Tenez, c’est un homme comme vous, pas plus fier au fond de l’âme, et aussi prêt à donner sa vie que sa bourse pour les malheureux. Seulement, il ne se fâche pas pour rien, et quand il vous a dit une bonne parole, on ne craint pas qu’il vous allonge un coup de trique.

— Oh ! je sais qu’il est beaucoup meilleur, et surtout plus aimable que moi. Si tu le vois ce soir ou demain matin, apporte-moi de ses nouvelles ; dis-lui de venir me voir, je suis accablé de ses chagrins.

— Et moi aussi ; mais j’ai meilleure espérance que lui et vous. Pourtant, si j’étais riche comme vous…

— Que ferais-tu ?

— Je ne sais ; mais l’argent arrange tout avec des gens de l’étoffe du père Cardonnet. Si vous vouliez l’embarquer dans quelque gros marché et y sacrifier quelques centaines de mille francs, vous qui avez trois ou quatre millions, et pas d’enfants ! Il n’est pas si riche qu’il en a l’air, lui ! Il se fait peut-être plus de revenu que vous, mais son fonds n’est guère gros, que je crois !

— Ainsi, tu approuverais qu’on lui achetât la liberté de son fils ?

— Il y a des gens qui ne donnent jamais, et qui vendent ce qu’ils doivent. Mais, par le sang du diable ! nous voilà dans l’étang ! Arrêtez-vous ! arrêtez-vous ! ce n’est pas de la terre, c’est de l’eau ; nous avons trop pris sur la droite :