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DE M. ANTOINE

lie, et aime-moi par pitié, puisque je ne puis être aimé autrement.

— Monsieur de Boisguilbault, dit le charpentier avec effusion, il ne faut pas parler comme cela : ce n’est pas vous rendre justice. Vous avez des défauts, c’est vrai, des caprices, des vivacités un peu fortes ; mais, au fond, vous savez bien qu’on est obligé de vous respecter, parce que vous avez un cœur juste, que vous aimez le bien et que vous n’avez jamais fait un malheureux autour de vous ; et puis, vous avez des idées… que vous n’avez pas prises seulement dans vos livres, des idées que les riches n’ont pas souvent, et qui rendraient le monde heureux, si le monde voulait penser comme vous. Pour avoir ces idées-là, il ne suffit pas d’être instruit et raisonnable, il faut aimer beaucoup tous les hommes qui sont sur la terre, et n’avoir pas une pierre à la place du cœur ; c’est pourquoi il faut bien que Dieu s’en soit mêlé. Ne dites donc pas qu’on vous aimerait par pitié ; vous n’auriez qu’à vouloir être aimé, et il ne faudrait pas beaucoup vous changer pour en venir à bout.

— Que faudrait-il donc faire, suivant toi ?

— Il ne s’agirait que de ne pas vouloir en empêcher ceux qui y sont portés.

— Quand donc l’ai-je fait ?

— Maintes fois, et, pour ne parler que de moi, puisqu’il y en a d’autres dont vous ne voulez sûrement pas encore qu’on vous rappelle le nom…

— Parle-moi de toi, Jean, dit M. de Boisguilbault avec un empressement douloureux… ou plutôt… viens prendre ton souper et ton gîte chez moi ce soir. Je veux que nous soyons, dès aujourd’hui, entièrement réconciliés, mais à certaines conditions que je te dirai peut-être… et qui sont étrangères au fond de notre querelle. La pluie augmente, et ces branches ne nous garantissent plus.