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LE PÉCHÉ

j’éprouve. Tu serais assez vengé si tu la comprenais ; mais tu veux une vengeance brutale et cruelle. Tu veux te réduire à la misère et t’épuiser de fatigue pour me faire rougir et pleurer tous les jours de ma vie.

— Si vous le prenez comme ça… dit Jean à demi vaincu, non, je ne suis pas un méchant homme, et je peux vous pardonner une folie de jeunesse. Diable ! c’est que vous avez encore la tête vive et la main leste ! Qu’est-ce qui dirait ça ? Enfin, n’en parlons plus ; encore une fois, je vous pardonne.

— Tu consens à travailler pour moi ?

— À moitié prix. Faisons cet arrangement-là pour en finir.

— Il n’y a aucune proportion entre ma position et la tienne. Il y en aurait encore moins entre ton travail et ton salaire ; sois généreux : c’est la plus belle et la plus complète des vengeances. Viens travailler pour moi comme tu travailles pour tout le monde ; oublie que je t’ai rendu un service dont ma bourse ne s’est pas seulement aperçue, et force-moi ainsi à être ton obligé, puisque tu accepteras, en dédommagement d’un outrage irréparable, la plus misérable des réparations, celle de l’argent.

— Comme vous tournez ça, je n’y comprends plus goutte. Allons, nous verrons si nous pouvons nous entendre. Mais si je vais chez vous et que ma figure vous mette encore en colère ! Voyons, ne pouvez-vous pas me dire, au moins, ce que vous avez eu si longtemps contre moi ? Vous me devriez bien ça ! Il faut que, sans le savoir, je ressemble à quelqu’un qui vous a fait du mal. Ce n’est toujours pas quelqu’un d’ici ; car je ne connais dans le pays que le vieux cheval du curé de Cuzion à qui je ressemble.

— Ne me fais pas de questions ; il m’est impossible de te répondre. Admets que je suis sujet à des accès de fo-