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LE PÉCHÉ

faut des gendarmes et des prisons pour nous accorder. Comment ça pourrait-il être autrement ? Je n’en sais rien. Vous dites là-dessus de jolies choses, et quand vous êtes sur ce chapitre-là, je passerais les jours et les nuits à vous écouter, tant ça me plaît de vous entendre arranger tout ça dans votre tête. C’est pour cela que je vous aime ; mais je ne vous ai jamais dit, mon garçon, que j’espérais voir ça. Ça me paraît bien loin, si c’est possible, et moi, qui suis habitué à la peine, je ne demande au bon Dieu que de nous laisser comme nous sommes, sans permettre aux grands riches d’empirer notre sort. Je sais bien que si tout le monde était comme vous, comme moi, comme Antoine et comme Gilberte, nous mangerions tous la même soupe à la même table ; mais je vois bien aussi que tous les autres ne voudraient point entendre parler de cet arrangement-là, et qu’il y aurait trop à dire et à faire pour les y amener. Je suis fier, moi, et je me passe fort bien de qui me méprise : voilà ma sagesse. Je ne me tourmente guère la cervelle pour la politique ; je n’y comprends rien ; mais je ne veux pas qu’on me mange, et je déteste les gens qui disent : « Dévorons tout. » Votre père est un de ces mangeurs-là, et si vous lui ressembliez, je vous fendrais la tête avec ma hache plutôt que de vous laisser penser à Gilberte. Dieu a voulu que vous fussiez bon et que la vérité vous parût une bonne affaire ; gardez-la donc, la vérité, puisque c’est la seule chose que les méchants ne puissent pas ôter de la terre. Que votre père dise : « C’est comme cela ; ça m’arrange, et je veux que cela soit ! » Laissez-le dire, il est fort parce qu’il est riche et ni vous, ni moi, ne pouvons le retenir ; mais qu’il soit assez têtu et assez colère pour vouloir vous faire dire que c’est bien comme cela, et que Dieu est content de ce qui se fait… halte-là ! C’est contre la religion de dire que Dieu aime le mal, et nous sommes chrétiens, que