Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
LE PÉCHÉ

— Bientôt, Jean, quand nous voudrons ! s’écria Émile, que cette idée jeta dans une sorte de délire. Mon père y consent, je l’épouse, oui, je l’épouse, entends-tu ? car, sans cela il faut que je meure. N’est-ce pas, qu’il faut que je l’épouse ?

— Diable ! je le crois bien ! comment hésiteriez-vous une minute ? Ce n’est pas moi qui vous donnerais raison si vous la trompiez, et je crois bien, mon garçon, que je vous y forcerais, quand je devrais vous battre.

— Oui, n’est-ce pas, c’est mon devoir ?

— Tiens ! mais on dirait que vous en doutez ? Vous avez l’air quasi égaré, en disant ça ?

— Oui, je suis égaré, c’est vrai ; mais n’importe : je connais maintenant mon devoir, et c’est toi qui me confirmes dans ma meilleure résolution. Allons ensemble à Châteaubrun !

— Vous y alliez donc ? à la bonne heure ; dépêchons-nous, car il se fait tard. Vous me conterez en chemin comment votre père a pu tout d’un coup se décider à être si sage, lui que je croyais fou !

— Mon père est fou, en effet, dit Émile en prenant le bras du charpentier, et en marchant près de lui avec agitation : tout à fait fou ! car il consent, à condition que je lui ferai un mensonge dont il ne sera pas la dupe. Mais c’est pour lui un triomphe, un vrai plaisir que de m’amener à mentir !

— Ah çà, dit Jappeloup, vous n’avez pas bu ? non ! ça ne vous arrive jamais ! et pourtant vous battez la campagne. On dit que l’amour grise comme le vin : il y paraît, car vous dites des choses qui n’ont ni rime, ni raison.

— Mon père, qui est fou, poursuivit Émile hors de lui, a voulu me rendre fou aussi, et il y réussit assez bien, tu vois ! il veut que je lui dise que deux et deux font