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DE M. ANTOINE

jouer. Il était bien sûr d’avance que vous n’accepteriez pas le déshonneur, et il croit que vous vous rebuterez si facilement ! Il ne vous connaît pas ; vous persisterez à m’aimer, et à le lui dire, et à le lui prouver sans cesse. Voyez ! le plus difficile est fait, puisqu’il sait tout, et que, au lieu de s’indigner et de s’affliger, il accepte le combat en riant, comme une partie de jeu où il se croit le plus fort. Ayez donc du courage ; je n’en manquerai pas. N’oubliez pas que notre union est l’ouvrage de plusieurs années de persévérance et de religieux travail. Adieu, Émile, j’entends la voix de mon père qui se rapproche, je fuis. Restez ici, vous, pour ne reprendre votre route que quand nous serons bien loin.

— Ne plus vous voir ! répétait Émile, ne plus vous entendre, et avoir du courage !

— Si vous en manquez, Émile, c’est que vous ne m’aimez pas autant que je vous aime ; et que notre union ne vous promet pas assez de bonheur pour vous décider à combattre beaucoup et longtemps.

— Oh ! j’aurai du courage ! s’écria Émile, vaincu par l’énergie de cette noble fille. Je saurai souffrir et attendre. Vous verrez, Gilberte, si le bonheur que me promet l’avenir ne me fait pas tout supporter dans le présent. Mais quoi ! ne pourrions-nous pas nous rencontrer quelquefois, par hasard, comme aujourd’hui, par exemple ?

— Qui sait ? dit Gilberte. Comptons sur la Providence.

— Mais on aide quelquefois la Providence ! Ne peut-on trouver un moyen de s’entendre, de s’avertir ?… en s’écrivant !…

— Oui, mais il faut tromper ceux qu’on aime !

— Ô Gilberte ! que faire ?

— J’y songerai, laissez-moi partir.

— Partir sans me rien promettre !