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DE M. ANTOINE

m’a fait et l’effroi qu’il m’a causé, je le chérissais encore, et je réunissais toutes les forces de mon âme pour croire en lui. Je me sentais toujours fils et ami jusqu’au fond de mes entrailles, et aujourd’hui il me semble que le lien du sang s’est à jamais brisé, et que je lutte contre un maître étranger, qui m’opprime… qui pèse sur mon âme comme un ennemi, comme un spectre ! Ah ! je me rappelle un rêve que j’ai fait, la première nuit que j’ai passée dans ce pays-ci. Je voyais mon père se placer sur moi pour m’étouffer !… C’était horrible, et maintenant cette odieuse vision se réalise ; mon père a mis ses genoux, ses coudes, ses pieds sur mon sein ; il veut en arracher la conscience ou le cœur. Il fouille dans mes entrailles pour savoir quel endroit faible lui cédera. Oh ! c’est une invention diabolique et un dessein parricide qui l’égare. Est-il possible que l’amour de l’or et le culte du succès inspirent de pareilles idées à un père contre son enfant ? Si vous aviez vu avec quel sourire de triomphe il m’étalait l’inspiration subite de son étrange générosité ! ce n’était pas un protecteur et un conseil ; c’était un ennemi qui a tendu un piége, et qui saisit sa proie avec un rire perfide ! « Choisis, semblait-il me dire, et si tu en meurs, qu’importe ? j’aurai vaincu. » Ô mon Dieu, c’est affreux, affreux ! de condamner et de haïr son père ! »

Et le pauvre Émile, brisé de douleur, pencha son visage sur l’herbe où il était couché, et l’arrosa de larmes brûlantes.

« Émile, dit M. de Boisguilbault, vous ne pouvez ni haïr votre père, ni trahir votre maîtresse. Voyons, tenez-vous beaucoup à la vérité ? pouvez-vous mentir ? »

Le marquis avait touché juste. Émile se releva avec force.

« Non, monsieur, non, dit-il, vous le savez bien, je ne puis mentir. Et à quoi sert le mensonge aux lâches ? Quel bonheur, quel repos peut-il leur assurer ? Quand