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DE M. ANTOINE

de la moindre hésitation de sa part, elle qui, dans son humble condition, nourrissait de si étranges préjugés aristocratiques, et profitait avec ses maîtres des privilèges de l’égalité, sans croire aucunement aux droits de l’égalité pour tous ? Elle le tiendrait pour un misérable fou, ou plutôt elle penserait qu’il acceptait ce prétexte pour manquer à sa parole, et elle le bannirait de Châteaubrun avec colère. Qui sait si, avec le temps, elle ne travaillerait pas avec assez de succès l’esprit de Gilberte, pour que celle-ci partageât son mépris et son indignation ?

Ne se sentant pas la force d’aller affronter une si dure épreuve, Émile essaya d’écrire à Gilberte. Il commença et déchira vingt lettres, et enfin, ne pouvant résoudre le problème de sa situation, il résolut d’aller ouvrir son cœur à son vieux ami, M. de Boisguilbault, et de lui demander conseil.

Pendant ce temps, M. Cardonnet, qui agissait dans toute la force et la liberté de ses cruelles inspirations, écrivait, lui aussi, à Gilberte une lettre ainsi conçue :

« Mademoiselle,

« Vous avez dû me trouver hier bien importun et bien peu galant. Je viens vous demander ma grâce et me confesser d’une petite feinte que vous me pardonnerez, j’en suis certain, quand vous connaîtrez mes intentions.

« Mon fils vous aime, je le sais, Mademoiselle, et je sais aussi que vous daignez approuver ses sentiments. J’en suis heureux et fier, à présent que je vous connais. Ne trouvez-vous pas légitime qu’avant de prendre une décision de la plus haute importance, j’aie voulu voir de mes propres yeux, et quelque peu éprouver le caractère de la personne qui dispose du cœur de mon fils et de l’avenir de ma famille ?