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LE PÉCHÉ

ta vie. Je veux que tu sois prêt à entreprendre des voyages (avec ta femme, si bon te semble !) pour examiner les progrès de l’industrie et surprendre, s’il le faut, les secrets de nos concurrents ; je veux que tu signes enfin, non sur du papier devant un notaire, mais sur ma tête et avec le sang de ton cœur, et devant Dieu, un contrat qui annihile tout ton passé de rêves et de chimères, et qui engage ta conviction, ta volonté, ta foi, ton avenir, ton dévouement, ta religion, à la réussite de mon œuvre.

— Et si je ne crois pas à votre œuvre ? dit Émile en pâlissant.

— Il faudra bien y croire ; ou, si elle est inexécutable, ce sera moi le premier qui n’y croirai plus. Mais ne pense pas m’échapper par ce détour. S’il nous faut lever d’ici notre tente, je la transporterai ailleurs, et ne m’arrêterai qu’à la mort. Là où je serai, et quelque chose que je fasse, il faut me suivre, me seconder et me sacrifier tous tes systèmes, tous tes songes…

— Quoi ! ma pensée elle-même, ma croyance à l’avenir ? s’écria Émile épouvanté. Ô mon père ! vous voulez me déshonorer à mes propres yeux !

— Tu recules ! Ah ! tu n’es pas même amoureux, mon pauvre Émile ! Mais brisons là. C’est assez d’émotions maintenant pour ta pauvre tête. Prends le temps de réfléchir. Je ne veux pas que tu me répondes avant que je t’interroge de nouveau. Consulte la force de ta passion, et va consulter ta maîtresse. Va à Châteaubrun, vas-y tous les jours, à toute heure ; tu n’y rencontreras plus Galuchet. Informe Gilberte et ses parents du résultat de cette conférence. Dis-leur tout. Dis-leur que je donne mon consentement pour vous unir dans un an, à condition que, dès aujourd’hui, tu me feras le serment que j’exige. Il faut que ta maîtresse sache cela exactement, je le veux ; et, si tu ne l’en informais pas, je m’en chargerais moi-