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DE M. ANTOINE

trompée de sexe : c’est te dire assez que je t’aime passionnément. Ne te plains donc pas de ton sort, et que mes reproches ne t’humilient jamais.

« Dans cette situation où nous sommes à l’égard l’un de l’autre, et qui, désormais, m’est bien avérée, je ferai à ton bonheur et à ton avenir d’immenses sacrifices ; je surmonterai mes répugnances, qui sont pourtant grandes, je le confesse, et je te laisserai épouser la fille illégitime d’un noble et d’une servante. Je satisferai, comme je te l’ai dit, ton cœur et tes sens ; mais c’est à la condition que ton esprit m’appartiendra entièrement, et que je disposerai de toi comme de moi-même.

— Est-il possible, ô mon Dieu ! dit Émile, à la fois ébloui et terrifié ; mais comment donc l’entendez-vous, mon père, et quel sens donnez-vous à cet abandon de moi-même ?

— Ne viens-je pas de te le dire ? Ne feins donc pas de ne pouvoir me comprendre. Tiens, Émile, je sais tout ton roman de Châteaubrun, et je pourrais te le raconter mot à mot, depuis ton arrivée, par un soir d’orage, jusqu’à Crozant, et depuis Crozant jusqu’à la conversation de samedi dans le verger de M. Antoine. Je connais maintenant les personnages aussi bien que toi-même, car j’ai voulu voir par mes propres yeux ; et hier, pendant que tu explorais les bords de la rivière, moi, sous prétexte d’insister sur la demande en mariage de Constant Galuchet, j’ai été à Châteaubrun, et j’ai causé longtemps avec mademoiselle Gilberte.

— Vous, mon père !…

— N’est-il pas tout simple que je veuille connaître celle que tu as choisie sans me consulter, et qui sera peut-être un jour ma fille ?

— Ô mon père ! mon père !…

— Je l’ai trouvée charmante, belle, modeste, humble