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DE M. ANTOINE

ce ravin, et y balayer sans cesse les résistances inutiles ; à moins, je vous l’ai dit, de travaux que vous ne pouvez entreprendre, parce qu’ils dépassent les ressources d’un capitaliste isolé. Voilà ce qu’au nom des lois atmosphériques le physicien vous eût dit : il eût constaté les effets incessants de la foudre sur les rochers qui l’attirent ; le géologue eût constaté la nature des terrains, soit marneux, soit calcaires, soit granitiques, qui retiennent, absorbent ou laissent échapper tour à tour les eaux.

— Et le botaniste, dit en riant M. Cardonnet, tu l’oublies, celui-là ?

— Celui-là, répondit Émile en souriant, aurait aperçu sur les flancs arides et abrupts où le géologue n’eût pu marquer sûrement le séjour extérieur des eaux, quelques brins d’herbe qui eussent éclairé ses confrères. « Cette petite plante, leur eût-il dit, n’a point poussé là toute seule ; ce n’est point la région qu’elle aime, et vous voyez qu’elle y fait triste mine, en attendant que l’inondation qui l’y a apportée vienne la reprendre ou lui procurer la société de ses compagnes. »

— Bravo ! Émile, rien n’est plus ingénieux.

— Et rien n’est plus certain, mon père.

— Et où as-tu pris tout cela ? Es-tu donc à la fois hydrographe, mécanicien, astronome, géologue, physicien et botaniste ?

— Non, mon père ; vous m’avez forcé de saisir à peine, en courant, les éléments de ces sciences, qui n’en font qu’une au fond ; mais il y a certaines natures privilégiées chez lesquelles l’observation et la logique remplacent le savoir.

— Tu n’es pas modeste !

— Je ne parle pas de moi, mon père, mais d’un paysan, d’un homme de génie qui ne sait pas lire, qui ne connaît pas le nom des fluides, des gaz, des minéraux ou des