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DE M. ANTOINE

son retour, Émile demanda à son père un entretien particulier. Il lui trouva un certain air de calme triomphant qui ne lui parut pas de très bon augure. Néanmoins, comme il croyait de son devoir de l’avertir de ce qu’il avait constaté, il entra en matière sans hésitation.

« Mon père, lui dit-il, vous m’exhortez à épouser vos projets et à m’y plonger tout entier avec la même ardeur que vous-même. J’ai fait mon possible, depuis quelque temps, pour mettre à votre service toute l’application dont mon cerveau est capable ; je dois donc à la confiance que vous m’avez accordée de vous dire que nous bâtissons sur le sable, et qu’au lieu de doubler votre fortune, vous l’engloutissez rapidement dans un abîme sans fond.

— Que veux-tu dire, Émile ? répondit M. Cardonnet en souriant ; voilà un début bien effrayant, et je croyais que la science t’aurait conduit au même résultat que donne la pratique, à savoir que rien n’est impossible à la volonté éclairée. Il semble que tu aies dégagé de tes méditations la solution contraire. Voyons ! tu as fait une longue course, et sans doute un profond examen ? Moi aussi, j’ai exploré, l’an passé, le torrent qu’il s’agit de réduire, et j’ai la certitude d’en venir à bout ; qu’en dis-tu, toi, enfant ?

— Je dis, mon père, que vous échouerez, car il y faudrait consacrer des dépenses qu’un particulier ne saurait faire, et qui ne seraient d’ailleurs pas couvertes par un bénéfice relatif. »

Ici Émile entra, avec beaucoup de lucidité, dans des explications dont nous ferons grâce au lecteur ; mais qui tendaient à établir que le cours de la Gargilesse présentait des obstacles naturels impossibles à détruire sans une mise de fonds dix fois plus considérable que celle prévue par M. Cardonnet. Il eût fallu se rendre propriétaire de certaines parties du bassin de la rivière, afin de détourner ici