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DE M. ANTOINE

éclairés du rayon de l’enthousiasme, qu’un tigre n’y eût pas résisté. Janille pleurait de dépit d’abord, puis de chagrin, et puis de tendresse ; et quand le soir vint, et qu’on alla s’asseoir au bord de la rivière, sous le doux regard de la lune, ces quatre personnes, unies par une invincible affection, ne formèrent plus qu’un groupe de bras entrelacés et de cœurs battant à l’unisson.

Gilberte surtout était radieuse, son cœur était plus léger et plus pur que le parfum des plantes qui s’exhale au lever des étoiles et remonte vers elles. Quelque enivré que fût Émile, il ne pouvait oublier entièrement la difficulté des devoirs qu’il avait à remplir pour concilier la religion de son amour avec la piété filiale. Mais Gilberte croyait qu’on pouvait toujours attendre, et que, pourvu qu’elle aimât, le miracle se ferait de lui-même, sans que personne fût forcé d’agir. Lorsque Émile, après avoir osé baiser sa main, sous les yeux de ses parents, se fut éloigné, Janille lui dit en soupirant :

« Eh bien, à présent, tu vas être triste pendant huit jours ! je te verrai les yeux rouges comme je te les voyais souvent avant ce maudit voyage de Crozant ! Il n’y aura plus ni paix, ni bonheur ici !

— Si tu me vois triste, ma mère chérie, répondit Gilberte, je te permets de l’empêcher de revenir ; et si j’ai les yeux rouges, je me les arracherai pour ne plus le voir. Mais que diras-tu, si je suis plus gaie et plus heureuse que jamais ? Est-ce que tu ne sens pas comme mon cœur est calmé ? Tiens, mets-y ta main, pendant qu’on entend encore les pas de ce cheval qui s’éloigne ! Est-ce que je suis agitée ? Allume la lampe et regarde-moi bien. Est-ce toujours ta Gilberte, ta fille, qui ne respire que pour toi et son père, et qui ne peut s’ennuyer une minute avec eux ? Ah ! quand j’ai souffert, quand j’ai pleuré, c’est que j’avais un secret pour vous, et que j’étouffais de ne