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navire s’est approché comme il s’approche. Une voix m’a crié : Qui vive ? j’ai répondu : Autriche. La voix m’a crié : Hais-tu ou aimes-tu ? J’ai répondu : Je hais ; et la voix m’a dit : Vis. Puis le navire a passé sur la gondole, a englouti tes compatriotes, et m’a portée en triomphe sur les flots.

— Et aujourd’hui ?…

— Hélas ! la voix va parler. »

En effet, une voix lugubre et solennelle, imposant silence au funèbre équipage du Bucentaure, cria : « Qui vive ?

— Autriche », répondit la voix tremblante de l’inconnue.

Un chœur de malédiction éclata sur le Bucentaure qui s’approchait avec une rapidité toujours croissante. Puis un nouveau silence se fit, et la voix reprit :

« Hais-tu ou aimes-tu ? »

L’inconnue hésita un moment ; puis, d’une voix éclatante comme le tonnerre, elle s’écria : « J’aime ! »

Alors la voix dit :

« Tu as accompli ta destinée. Tu aimes l’Autriche ! Meurs, Venise ! »

Un grand cri, un cri déchirant, désespéré, fendit l’air, et Franz disparut dans les flots. En remontant à la surface, il ne vit plus rien, ni la gondole, ni le Bucentaure, ni sa bien-aimée. Seulement, à l’horizon, brillaient de petites lumières ; c’étaient les fanaux des pêcheurs de Murano. Il nagea du côté de leur île, et y arriva au bout d’une heure. Pauvre Venise ! »

Beppa avait fini de parler ; des larmes coulaient de ses yeux. Nous les regardâmes couler en silence, sans chercher à la consoler. Mais tout d’un coup elle les essuya, et nous dit avec sa vivacité capricieuse : « Eh bien ! qu’avez-vous donc à être si tristes ? Est-ce là l’effet que pro-