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Arrivée au bas de l’escalier du palais, elle sauta dans sa gondole, et dit à Franz d’y monter après elle et de s’asseoir. Quand il l’eut fait, il jeta les yeux autour de lui, et n’apercevant point de gondolier :

« Qui nous conduira ? dit-il.

— Moi, répondit-elle en saisissant la rame d’une main vigoureuse.

— Laissez-moi plutôt.

— Non. Les mains autrichiennes ne connaissent pas la rame de Venise. »

Et, imprimant à la gondole une forte secousse, elle la lança comme une flèche sur le canal. En peu d’instants ils furent loin du palais. Franz, qui attendait de l’inconnue l’explication de sa colère, s’étonnait et s’inquiétait de lui voir garder le silence.

« Où allons-nous ? dit-il après un moment de réflexion.

— Où la destinée veut que nous allions, » répondit-elle d’une voix sombre ; et, comme si ces mots eussent ranimé sa colère, elle se mit à ramer avec plus de vigueur encore. La gondole, obéissant à l’impulsion de sa main puissante, semblait voler sur les eaux. Franz voyait l’écume courir avec une éblouissante rapidité le long des flancs de la barque, et les navires qui se trouvaient sur leur passage, fuir derrière lui comme des nuages emportés par l’ouragan. Bientôt les ténèbres s’épaissirent, le vent se leva, et le jeune homme n’entendit plus rien que le clapotement des flots et les sifflements de l’air dans ses cheveux ; et il ne vit plus rien devant lui que la grande forme blanche de sa compagne au milieu de l’ombre. Debout à la poupe, les mains sur la rame, les cheveux épars sur les épaules, et ses longs vêtements blancs en désordre abandonnés au vent, elle ressemblait moins à une femme qu’à l’esprit des naufrages se jouant sur la mer orageuse.