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de ta voix réussit à la tirer de ses distractions les plus profondes.

— Cette sympathie magnétique dont tu me parles, répondis-je, cher abbé, vient de l’identité de nos sentiments. Nous avons souffert de la même manière et pensé les mêmes choses, et nous nous connaissons assez, elle et moi, pour savoir quel ordre d’idées nous rappellent les circonstances extérieures. Je vous parie que je devine, non pas l’objet, mais du moins la nature de sa rêverie. »

Et me tournant vers Beppa :

« Carissima, lui dis-je doucement, à laquelle de nos sœurs penses-tu ?

— À la plus belle, me répondit-elle sans se détourner, à la plus fière, à la plus malheureuse.

— Quand est-elle morte ? repris-je, m’intéressant déjà à celle qui vivait dans le souvenir de ma noble amie, et désirant m’associer par mes regrets à une destinée qui ne pouvait pas m’être étrangère.

— Elle est morte à la fin de l’hiver dernier, la nuit du bal masqué qui s’est donné au palais Servilio. Elle avait résisté à bien des chagrins, elle était sortie victorieuse de bien des dangers, elle avait traversé, sans succomber, de terribles agonies, et elle est morte tout d’un coup sans laisser de trace, comme si elle eût été emportée par la foudre. Tout le monde ici l’a connue plus ou moins, mais personne autant que moi, parce que personne ne l’a autant aimée et qu’elle se faisait connaître selon qu’on l’aimait. Les autres ne croient pas à sa mort, quoiqu’elle n’ait pas reparu depuis la nuit dont je te parle. Ils disent qu’il lui est arrivé bien souvent de disparaître ainsi pendant longtemps, et de revenir ensuite. Mais moi je sais qu’elle ne reviendra plus et que son rôle est fini sur la terre. Je voudrais en douter que je ne le pour-