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DE M. ANTOINE

bition qu’on a, dans la maison, de faire un riche mariage, qu’on n’écoute personne autre ? Je ne dis pas que M. Émile soit capable d’avoir de pareilles idées, je suis sûre du contraire. Il nous connaît assez pour savoir qui nous sommes. Mais de sottes gens le penseront, et cela nous fera passer pour des sots. Comment ! nous allons mettre M. Galuchet à la porte, parce que notre fille est trop jeune, soi-disant, et M. Cardonnet fils viendra toutes les semaines, comme s’il était seul excepté ? Ça ne se peut pas, monsieur Antoine ! Et vous, vous avez beau me regarder avec des yeux tendres, monsieur Émile, vous avez beau vous mettre à genoux auprès de moi, et me prendre les mains comme si vous vouliez me faire une déclaration… je vous aime, oui, j’en conviens, et je vous regretterai même beaucoup ; mais je n’en ferai pas moins mon devoir, puisque moi seule ai de la tête, de la prévoyance et de la volonté, ici ! Ah mais ! vous partirez aussi, mon garçon, car ma mie Janille ne radote pas encore. »

Gilberte était redevenue pâle comme un lis, et M. Antoine avait de l’humeur, peut-être pour la première fois de sa vie. Il trouvait Janille déraisonnable, et n’osant entrer en révolte, il tirait l’oreille de Sacripant, qui, lui voyant un air fâché, l’accablait de caresses et se laissait martyriser par sa main distraite. Émile était à genoux entre Janille et Gilberte ; son cœur débordait, et il ne pouvait plus se taire.

— « Ma chère Janille, s’écria-t-il enfin avec une émotion impétueuse, et vous, digne et généreux Antoine, écoutez-moi, et apprenez enfin mon secret. J’aime votre fille, je l’aime avec passion depuis le premier jour où je l’ai vue, et, si elle daigne agréer mes sentiments, je vous la demande en mariage, non pour M. Galuchet, non pour aucun protégé de mon père, ni pour aucun de mes amis,