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pousser. — C’est pourquoi votre dévouement a été si loin, répondit Pauline, que de vouloir vous y jeter vous-même à ma place.

Outrée de cette injustice et de cette ingratitude, Laurence se leva, jeta un regard terrible sur Pauline, et, craignant de laisser déborder le torrent de sa colère, elle lui montra la porte avec un geste et une expression de visage dont elle fut terrifiée. Jamais la tragédienne n’avait été plus belle, même lorsqu’elle disait dans Bajazet son impérieux et magnifique : Sortez !

Lorsqu’elle fut seule, elle se promena dans sa chambre comme une lionne dans sa cage, brisant ses vases étrusques, ses statuettes, froissant ses vêtements et arrachant presque ses beaux cheveux noirs. Tout ce qu’elle avait de grandeur, de sincérité, de véritable tendresse dans l’âme, venait d’être méconnu et avili par celle qu’elle avait tant aimée, et pour qui elle eût donné sa vie ! Il est des colères saintes où Jehovah est en nous, et où la terre tremblerait si elle sentait ce qui se passe dans un grand cœur outragé. La petite sœur de Laurence entra, crut qu’elle étudiait un rôle, la regarda quelques instants sans rien dire, sans oser remuer ; puis, s’effrayant de la voir si pâle et si terrible, elle alla dire à madame S… : — Maman, va donc voir Laurence ; elle se rendra malade à force de travailler. Elle m’a fait peur.

Madame S… courut auprès de sa fille. Dès que Laurence la vit, elle se jeta dans ses bras et fondit en larmes. Au bout d’une heure, ayant réussi à s’apaiser, elle pria sa mère d’aller chercher Pauline. Elle voulait lui demander pardon de sa violence, afin d’avoir occasion de lui pardonner elle-même. On chercha Pauline dans toute la maison, dans le jardin, dans la rue… On revint dans sa chambre avec effroi. Laurence examinait tout, elle cherchait les traces d’une évasion ; elle frémissait d’y trouver