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LE PÉCHÉ

— Allons, allons, Janille ! dit M. Antoine, en prenant la main d’Émile, c’est vous qui dites des choses déplacées. Il semblerait que vous voulez faire de la peine à notre ami… Vous hochez trop de la tête : je vous dis que c’est notre meilleur ami après Jean, qui a le droit d’ancienneté ; et je déclare que personne, depuis vingt ans que je suis, par ma pauvreté, à même d’apprécier les sentiments désintéressés, ne m’a montré et inspiré autant d’affection qu’Émile. C’est pourquoi je dis qu’il ne sera jamais de trop dans nos petits secrets de famille. Il est, par sa raison, la noblesse de ses idées et son instruction, fort au-dessus de son âge et du nôtre. C’est pourquoi nous ne pourrions prendre un meilleur conseil. Je le regarde comme le frère de Gilberte, et je vous réponds que s’il se présentait pour elle un parti sortable, il nous éclairerait sur les convenances de caractère, qu’il s’emploierait pour faire réussir un mariage qui la rendrait heureuse, et pour empêcher le contraire. Vos taquineries n’ont donc pas le sens commun, Janille ; si je l’ai mis dans ma confidence, j’ai su ce que je faisais : vous me traitez aussi par trop comme un petit enfant !

— Ah bien ! monsieur, vous cherchez noise à votre tour ? dit Janille très animée. Eh bien, soit ! c’est le jour des vérités, et je parlerai, puisqu’on me pousse à bout. Je vous dis, moi, et je dis à M.Émile, parlant à sa personne, qu’il est beaucoup trop jeune pour ce rôle d’ami de la maison, et que cela doit se refroidir un peu, ou vous en sentirez les inconvénients. Par exemple, aujourd’hui même, l’occasion s’en montre, et vous vous en apercevrez. Voilà un jeune homme qui se présente pour épouser Gilberte, nous n’en voulons point, c’est fort bien, c’est entendu ; mais qui empêchera ce prétendant éconduit de croire et de dire, ne fût-ce que pour se venger un peu, que c’est à cause de M. Émile, et de l’am-