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arrive un moment où la mauvaise passion fait place à la bonne, où l’esprit s’éclaire sur les défauts de l’ingrate maîtresse et sur les qualités de l’amie généreuse. Aujourd’hui, si nous brusquons l’incertitude de ce pauvre Montgenays, si nous lui mettons le couteau sur la gorge et le marché à la main, il va, ne fût-ce que par dépit, renoncer à Pauline, qui en mourra de chagrin peut-être, et retourner aux pieds d’une perfide qui brisera ou desséchera son cœur ; au lieu que, si nous conduisons les choses avec un peu de patience et de délicatesse, chaque jour, en voyant Pauline, en la comparant à l’autre femme, il reconnaîtra qu’elle seule est digne d’amour, et il arrivera à la préférer ouvertement. Que pouvons-nous craindre de cette épreuve ? Que Pauline l’aime sérieusement ? c’est déjà fait ; qu’elle se laisse égarer par lui ? c’est impossible. Il n’est pas homme à le tenter ; elle n’est pas femme à s’y laisser prendre.

Ces raisons ébranlèrent un peu madame S… Elle fit seulement consentir Laurence à empêcher les tête-à-tête que ses courses et ses occupations rendaient trop faciles et trop fréquents entre Pauline et Montgenays. Il fut convenu que Laurence emmènerait souvent son amie avec elle au théâtre. On devait penser que la difficulté de lui parler augmenterait l’ardeur de Montgenays, tandis que la liberté de la voir entretiendrait son admiration.

Mais ce fut la chose la plus difficile du monde que de décider Pauline à quitter la maison. Elle se renfermait dans un silence pénible pour Laurence ; celle-ci était réduite à jouer avec elle un jeu puéril, en lui donnant des raisons dont elle ne la croyait point dupe. Elle lui représentait que sa santé était un peu altérée par les continuels travaux du ménage ; qu’elle avait besoin de mouvement, de distraction. On lui fit même ordonnancer par un médecin un système de vie moins sédentaire. Tout