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— Je le crois capable de tout, répondait madame S… Demandez à Lavallée ce qu’il en pense ; confiez-lui ce qui se passe : c’est un homme sûr, pénétrant et dévoué.

— Je le sais, dit Laurence ; mais je ne puis cependant disposer d’un secret que Pauline refuse de me confier : on n’a pas le droit de trahir un mystère aussi délicat, quand on l’a surpris volontairement ; Pauline en souffrirait mortellement, et, fière comme elle l’est, ne me le pardonnerait de sa vie. D’ailleurs Lavallée a des prétentions exagérées : il déteste Montgenays ; il ne saurait le juger avec impartialité. Voyez quel mal nous allons faire à Pauline si nous nous trompons ! S’il est vrai que Montgenays l’aime (et pourquoi ne serait-ce pas ? elle est si belle, si sage, si intelligente !) nous tuons son avenir en éloignant d’elle un homme qui peut l’épouser et lui donner dans le monde un rang qu’à coup sûr elle désire ; car elle souffre de nous devoir son existence, vous le savez bien. Sa position l’affecte plus qu’elle ne peut l’avouer ; elle aspire à l’indépendance, et la fortune peut seule la lui donner.

— Et s’il ne l’épouse pas ! reprit madame S… Quant à moi, je crois qu’il n’y songe nullement.

— Et moi, s’écria Laurence, je ne puis croire qu’un homme comme lui soit assez infâme ou assez fou pour croire qu’il obtiendra Pauline autrement.

— Eh bien, si tu le crois, repartit la mère, essaie de les séparer ; ferme-lui ta porte : ce sera le forcer à se déclarer. Sois sûre que, s’il l’aime, il saura bien vaincre les obstacles et prouver son amour par des offres honorables.

— Mais il a peut-être dit la vérité, reprenait Laurence, en s’accusant d’un amour mal guéri qui l’empêche encore de se prononcer. Cela ne se voit-il pas tous les jours ? Un homme est quelquefois incertain des années entières entre deux femmes dont une le retient par sa coquetterie, tandis que l’autre l’attire par sa douceur et sa bonté. Il