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silence, et tous les yeux se tournèrent vers elle avec surprise. Elle vit alors son imprudence, et essaya de la réparer en blâmant d’une manière générale le train du monde en ces sortes d’affaires. — C’est une chose bien triste à étudier dans ce pays, dit-elle, que l’indifférence avec laquelle on entend déchirer des gens auxquels on ne rougit pourtant pas, un instant après, de faire bon accueil et de serrer la main. Je suis une ignorante, moi, une provinciale sans usage ; mais je ne peux m’habituer à cela… Voyons, monsieur Lavallée, c’est à vous de me donner raison ; car me voici précisément dans un de ces mouvements de vertu brutale dont vous reprochez l’absence à M. Montgenays. — En prononçant ces derniers mots, Pauline s’efforçait de sourire à Laurence pour atténuer l’effet de ce qu’elle avait dit, et elle y avait réussi pour tout le monde, excepté pour son amie, dont le regard, plein de sollicitude et de pénétration, surprit une larme au bord de sa paupière. Lavallée donna raison à Pauline, et ce lui fut une occasion de débiter avec un remarquable talent une tirade du Misanthrope sur l’ami du genre humain. Il avait la tradition de Fleury pour jouer ce rôle, et il l’aimait tellement que, malgré lui, il s’était identifié avec le caractère d’Alceste plus que sa nature ne l’exigeait de lui. Ceci arrive souvent aux artistes : leur instinct les porte à moitié vers un type qu’ils reproduisent avec amour, le succès qu’ils obtiennent dans cette création fait l’autre moitié de l’assimilation ; et c’est ainsi que l’art, qui est l’expression de la vie en nous, devient souvent en nous la vie elle-même.

Lorsque Laurence fut seule le soir avec son amie, elle l’interrogea avec la confiance que donne une véritable affection. Elle fut surprise de la réserve et de l’espèce de crainte qui régnait dans ses réponses, et elle finit par s’en inquiéter. — Écoute, ma chérie, lui dit-elle en la quittant,