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qu’elle aussi avait de l’esprit, du goût, de l’instruction. Le fait est qu’elle en avait extraordinairement eu égard à son existence passée, mais qu’au milieu de tous ces artistes brisés à une causerie étincelante elle ne pouvait éviter de tomber parfois dans le lieu commun. Quoique sa nature distinguée la préservât de toute expression triviale, il était facile de voir que son esprit n’était pas encore sorti tout à fait de l’état de chrysalide. Un homme supérieur à Montgenays n’en eût été que plus intéressé à ce développement ; mais le vaniteux en conçut un secret mépris pour l’intelligence de Pauline, et il décida avec lui-même, dès cet instant, qu’elle ne lui servirait jamais que de jouet, de moyen, de victime, s’il le fallait.

Qui eût pu supposer dans un homme froid et nonchalant en apparence une résolution si sèche et si cruelle ? Personne, à coup sûr. Laurence, malgré tout son jugement, ne pouvait le soupçonner, et Pauline, moins que personne, devait en concevoir l’idée.

Lorsque Laurence se rapprocha d’elle, se souvenant avec sollicitude qu’elle l’avait laissée auprès de Montgenays troublée jusqu’à la fièvre, confuse jusqu’à l’angoisse, elle fut fort surprise de la retrouver brillante, enjouée, animée d’une beauté inconnue, et presque aussi à l’aise que si elle eût passé sa vie dans le monde.

— Regarde donc ton amie de province, lui dit à l’oreille un vieux comédien de ses amis ; n’est-ce pas merveille de voir comme en un instant l’esprit vient aux filles ?

Laurence fit peu d’attention à cette plaisanterie. Elle ne remarqua pas non plus, le lendemain, que Montgenays était venu lui rendre visite une heure trop tôt, car il savait fort bien que Laurence sortait de la répétition à quatre heures ; et depuis trois jusqu’à quatre heures il l’avait attendue au salon, non pas seul, mais penché sur le métier de Pauline.