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— Eh bien ! reprit l’actrice, vivre par les yeux lorsqu’on arrive à comprendre ce qu’on voit, n’est-ce pas vivre par l’intelligence ? et n’est-ce pas de cette vie que Pauline est altérée ?

— Elle le dit, repartit madame S…, elle te trompe, elle se trompe elle-même. C’est par le cœur qu’elle demande à vivre, la pauvre fille !

— Eh bien ! s’écria Laurence, son cœur ne trouvera-t-il pas un aliment dans l’affection du mien ? Qui l’aimerait dans sa petite ville comme je l’aime ? Et si l’amitié ne suffit pas à son bonheur, croyez-vous qu’elle ne trouvera pas autour de nous un homme digne de son amour ?

La bonne madame S… secoua la tête. — Elle ne voudra pas être aimée en artiste, dit-elle avec un sourire dont sa fille comprit la mélancolie.

L’entretien fut repris le lendemain. Une nouvelle lettre de Pauline annonçait que la modique fortune de sa mère allait être absorbée par d’anciennes dettes que son père avait laissées, et qu’elle voulait payer à tout prix et sans retard. La patience des créanciers avait fait grâce à la vieillesse et aux infirmités de madame D… ; mais sa fille, jeune et capable de travailler pour vivre, n’avait pas droit aux mêmes égards. On pouvait, sans trop rougir, la dépouiller de son mince héritage. Pauline ne voulait ni attendre la menace, ni implorer la pitié ; elle renonçait à la succession de ses parents et allait essayer de monter un petit atelier de broderie.

Ces nouvelles levèrent tous les scrupules de Laurence et imposèrent silence aux sages prévisions de sa mère. Toutes deux montèrent en voiture, et huit jours après elles revinrent à Paris avec Pauline.

Ce n’était pas sans quelque embarras que Laurence avait offert à son amie de l’emmener et de se charger d’elle à jamais. Elle s’attendait bien à trouver chez elle un