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vers, nous nous disions entre nous : « Voilà une jeune personne qui peut aller loin ! » Puis, quand ces personnes furent de retour à Saint-Front, elles racontèrent avec orgueil qu’elles avaient été rendre leurs devoirs à la grande actrice, qu’elles avaient dîné à sa table, qu’elles avaient passé la soirée dans son magnifique salon… Ah ! quel salon ! quels meubles ! quelles peintures ! et quelle société amusante et honorable ! des artistes, des députés ; monsieur un tel, le peintre de portraits ; madame une telle, la cantatrice ; et puis des glaces, et puis de la musique… Que sais-je ? la tête en tournait à tous ceux qui entendaient ces beaux récits, et chacun de s’écrier : Je l’avais toujours dit qu’elle réussirait ! Nul autre que moi ne l’avait devinée.

Toutes ces puérilités eurent un seul résultat sérieux, ce fut de bouleverser l’esprit de la pauvre Pauline, et d’augmenter son ennui jusqu’au désespoir. Je ne sais si quelques semaines de plus n’eussent pas empiré son état au point de lui faire négliger sa mère. Mais celle-ci fit une grave maladie qui ramena Pauline au sentiment de ses devoirs. Elle recouvra tout à coup sa force morale et physique, et soigna la triste aveugle avec un admirable dévouement. Son amour et son zèle ne purent la sauver. Madame D… expira dans ses bras environ quinze mois après l’époque où Laurence était passée à Saint-Front.

Depuis ce temps, les deux amies avaient entretenu une correspondance assidue de part et d’autre. Tandis qu’au milieu de sa vie active et agitée, Laurence aimait à songer à Pauline, à pénétrer en esprit dans sa paisible et sombre demeure, à s’y reposer du bruit de la foule auprès du fauteuil de l’aveugle et des géraniums de la fenêtre ; Pauline, effrayée de la monotonie de ses habitudes, éprouvait l’invincible besoin de secouer cette mort lente qui s’étendait sur elle, et de s’élancer en rêve dans le tourbillon qui