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LE PÉCHÉ

j’en ai à vous conter ; mais tout cela va ennuyer monsieur Émile ?

— Je vous entends, ma chère mademoiselle Janille, répondit le jeune homme, et je sais que les convenances ordinaires me commanderaient de me retirer ; mais je suis trop intéressé à ce qui se passe ici pour m’astreindre à de vulgaires usages : vous pouvez parler devant moi, puisque maintenant je sais tout.

— Eh bien, monsieur, si vous savez de quoi il s’agit, et si M. Antoine a trouvé bon de s’expliquer devant vous, ce qui, entre nous soit dit, était assez inutile, je parlerai donc comme si vous n’étiez pas là. Et d’abord, Gilberte, il ne faut pas pleurer : de quoi t’affliges-tu, ma fille ? De ce qu’un malotru s’imagine être digne de toi ? Eh ! mon Dieu, ce n’est pas la dernière fois que tu seras exposée, mariée ou non, à voir des gens avantageux te donner à rire ; car il faut rire de cela, mon enfant, et ne point t’en fâcher. Ce garçon croit te faire honneur et te donner une preuve d’estime ; reçois-la de même, et dis-lui, ou fais-lui dire très sérieusement que tu le remercies, mais que tu ne veux point de lui. Je ne vois point du tout pourquoi tu t’inquiètes : est-ce que tu t’imagines, par hasard, que je suis d’humeur à l’encourager ? Ah ! bien, oui, il aurait cent mille francs, cent millions d’écus, que je ne le trouverais pas fait pour ma fille ! Le vilain, avec ses gros yeux et son air content d’être au monde, qu’il aille plus loin ! nous n’avons point ici de fille à lui donner ! Ah ! mais, ma mie Janille s’y connaît, et sait qu’on ne met point, dans un bouquet, le chardon à côté de la rose.

— C’est bien parler, bonne Janille ! s’écria Émile, et vous êtes digne d’être appelée sa mère !

— Et qu’est-ce que cela vous fait, à vous, Monsieur ! dit Janille, animée et montée par sa propre éloquence ; qu’avez-vous à voir dans nos petites affaires ? Savez-vous