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qu’elles s’applaudissent en secret d’avoir évités. C’est une consolation intérieure qu’il leur faut laisser, car l’amour-propre y trouve bien un peu son compte, et la vertu seule ne suffit pas toujours à dédommager des longs ennuis de la solitude.

— Eh bien ! dit la mère aveugle en s’asseyant sur le bord de son lit, appuyée sur sa fille, qui est donc là près de nous ? Je sens le parfum d’une belle dame. Je parie que c’est madame Ducornay, qui est revenue de Paris avec toutes sortes de belles toilettes que je ne pourrai pas voir, et de bonnes senteurs qui nous donnent la migraine.

— Non, maman, répondit Pauline, ce n’est pas madame Ducornay.

— Qui donc ? reprit l’aveugle en étendant le bras. — Devinez, dit Pauline en faisant signe à Laurence de toucher la main de sa mère. — Que cette main est douce et petite ! s’écria l’aveugle en passant ses doigts noueux sur ceux de l’actrice. Oh ! ce n’est pas madame Ducornay, certainement. Ce n’est aucune de nos dames, car, quoi qu’elles fassent, à la patte on reconnaît toujours le lièvre. Pourtant je connais cette main-là. Mais c’est quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps. Ne saurait-elle parler ? — Ma voix a changé comme ma main, répondit Laurence, dont l’organe clair et frais avait pris, dans les études théâtrales, un timbre plus grave et plus sonore. — Je connais aussi cette voix, dit l’aveugle, et pourtant je ne la reconnais pas. Elle garda quelques instants le silence sans quitter la main de Laurence, en levant sur elle ses yeux ternes et vitreux, dont la fixité était effrayante. — Me voit-elle ? demanda Laurence bas à Pauline. — Nullement, répondit celle-ci, mais elle a toute sa mémoire ; et d’ailleurs, notre vie compte si peu d’événements, qu’il est impossible qu’elle ne te reconnaisse pas