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DE M. ANTOINE

homme… Dites, Émile, en votre âme et conscience, est-ce un homme probe ?

— Sans aucun doute, répondit Émile. Mon père l’emploie depuis trois ans, et serait très fâché de le perdre.

— Est-il d’un bon caractère ?

— Quoiqu’il n’en ait guère donné la preuve ici l’autre jour, je dois dire qu’il est fort tranquille, et tout à fait inoffensif à l’habitude.

— Il n’est point sujet à s’enivrer ?

— Non pas que je sache.

— Eh bien, qu’a-t-on à lui reprocher ?

— S’il n’avait pas pris fantaisie de devenir notre commensal, je le trouverais accompli, dit Gilberte.

— Il te déplaît donc bien ? reprit M. Antoine en s’arrêtant pour la regarder en face.

— Eh non, mon père, répondit-elle, étonnée de cet air solennel. Ne prenez pas mon éloignement si fort au sérieux. Je ne hais personne ; et si la société de ce jeune homme a quelque agrément pour vous, s’il vous a donné quelque raison plausible de l’estimer particulièrement, à Dieu ne plaise que je vous en prive par un caprice ! Je ferai un effort sur moi-même, et j’arriverai peut-être à partager la bonne opinion que mon digne père a de lui.

— Voilà parler comme une bonne et sage fille, et je reconnais ma Gilberte. Sache donc, petite, que c’est toi, moins que personne, qui dois mépriser le caractère de ce garçon-là ; que si tu n’éprouves aucun attrait pour lui, tu dois du moins le traiter avec politesse et le renvoyer avec bonté. Allons, me devines-tu ?

— Pas le moins du monde, mon père.

— Moi, je crains de deviner, dit Émile, dont les joues se couvrirent d’une vive rougeur.

— Eh bien, reprit M. Antoine, je suppose qu’un garçon assez riche, relativement à nous, remarque une belle et