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DE M. ANTOINE.

liser. La Providence était venue à mon secours en m’envoyant Émile pour entrer à ma place dans l’application, et, dans ces derniers temps, je l’avais institué déjà mon légataire universel, c’est-à-dire mon exécuteur testamentaire. Mais un pareil acte eût rendu le consentement de M. Cardonnet impossible à obtenir, et je l’ai détruit en prenant la résolution de vous marier ensemble. Les actes officiels n’ont pas la valeur qu’on leur attribue, et les lois civiles n’ont jamais trouvé le moyen d’enchaîner les consciences. C’est pourquoi je suis beaucoup plus tranquille en vous disant ma volonté et en recevant vos promesses, que si je vous liais par des chaînes aussi fragiles que les articles d’un testament.

« Ne me répondez pas, mes enfants ! je sais vos pensées, je connais vos cœurs. Vous avez été mis à la plus rude de toutes les épreuves, celle de renoncer à être unis, ou d’abjurer vos croyances ; vous en êtes sortis triomphants ; je me repose à jamais sur vous, et je vous laisse maîtres de l’avenir. Vous avez l’intention d’entrer dans la pratique, Émile, je vous en donne les instruments ; mais ce n’est pas à dire que vous en ayez encore les moyens.

« Il vous faut la science sociale, et c’est le résultat d’un long travail auquel vous vous appliquerez avec l’aide des forces que votre siècle, qui n’est pas le mien, développera plus ou moins vite, plus ou moins heureusement, selon la volonté de Dieu. Ce n’est peut-être pas vous, mes enfants, ce seront peut-être vos enfants qui verront mûrir mes projets ; mais, en vous léguant ma richesse, je vous lègue mon âme et ma foi. Vous la léguerez à d’autres, si vous traversez une phase de l’humanité qui ne vous permette pas de fonder utilement. Mais Émile m’a dit un mot qui m’a frappé. Un jour que je lui demandais ce qu’il ferait d’une propriété comme la mienne,