Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
LE PÉCHÉ

et des égards un peu forcés, elle se laissait aller ingénument à traiter le marquis, dans ses manières et dans sa pensée, comme s’il eût été le père d’Émile.

Au moment du départ, M. de Boisguilbault prit la main de Janille et l’invita à venir dîner chez lui, avec autant de courtoisie que si elle eût été la mère de Gilberte. Loin d’être choqué de les entendre se traiter de mère et de fille, cette intimité l’avait subitement frappé d’une grande estime et d’une secrète reconnaissance pour la vieille fille qui avait subi tant de commérages et de quolibets plutôt que de révéler à qui que ce soit, même à l’ami Jappeloup (que pendant si longtemps le marquis avait cru le confident et le messager d’Antoine), le secret de la naissance de Gilberte.

M. Cardonnet ne put s’empêcher de sourire dédaigneusement à cette invitation.

« Monsieur Cardonnet, lui dit à voix basse M. de Boisguilbault, qui s’en aperçut, vous connaîtrez et vous apprécierez cette femme quand vous la verrez élever vos petits-enfants. »

Le parc de Boisguilbault fut donc ouvert pour la première fois, depuis qu’il existait, à une société conduite et accueillie par le propriétaire. Le chalet fut ouvert aussi, à l’exception du cabinet, dont cette fois la porte avait été, grâce à Jappeloup, solidement fixée.

La tristesse imposante du château, la beauté intéressante du mobilier, la magnificence du parc et le grand air de bonne maison répandu dans le service, causèrent un certain dépit à M. Cardonnet. Il avait fait tout son possible à Gargilesse pour ne point montrer dans son intérieur des habitudes de parvenu, et, tant qu’il s’était senti homme d’importance au milieu des ruines de Châteaubrun, il n’avait pas été trop mal à l’aise. Mais il se trouva fort petit au milieu de ce majestueux mélange