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LE PÉCHÉ

de Châteaubrun, M. Antoine se rassit et regarda l’industriel en face. Gilberte se sentait mourir ; mais elle crut devoir appuyer de sa fierté la juste fierté de son père. Elle leva aussi les yeux sur M. Cardonnet, et son regard semblait confirmer tout ce que venait de dire M. Antoine.

Janille, qui ne se possédait plus, crut devoir prendre la parole. « Soyez tranquille, monsieur, dit-elle ; on se passera fort bien de votre nom. On en a un qui le vaut bien ; et quant à la question d’argent, nous avons eu plus de gloire à perdre celui que nous avions, que vous à gagner celui que vous n’aviez pas.

— Je sais, mademoiselle Janille, répondit Cardonnet avec le calme apparent d’un profond mépris, que vous êtes très-vaine du nom que M. de Châteaubrun fait porter à mademoiselle votre fille. Quant à moi, je n’aurais pas été si fier, et j’aurais fermé les yeux sur certaines irrégularités de naissance : mais je conçois que la fortune d’un roturier, acquise au prix du travail, paraisse méprisable à une personne, née comme vous, apparemment dans les splendeurs de l’oisiveté. Il ne me reste qu’à vous souhaiter beaucoup de bonheur à tous, et à demander pardon à mademoiselle Gilberte de lui avoir causé quelque petit chagrin. Mes torts ont été bien involontaires, mais je crois les réparer en lui donnant un bon avis : c’est que les jeunes gens qui se font fort de disposer de la volonté de leurs parents sont parfois plus enivrés d’un caprice passager que pénétrés d’une grande passion. La conduite d’Émile à son égard en est, je crois, la preuve, et j’en suis un peu honteux pour lui.

— C’est assez, monsieur Cardonnet, assez, entendez-vous ? dit M. Antoine, en colère pour la première fois de sa vie : je rougirais d’avoir autant d’esprit que vous, si j’en faisais un si indigne usage que d’outrager une jeune fille,