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DE M. ANTOINE.

promenade en cabriolet, et il se proposait d’aller chez M. de Boisguilbault lorsque celui-ci était entré.

Le marquis avait su tous les détails de cette indisposition par le charpentier, qui l’avait cachée avec soin à Gilberte. Il n’y avait plus aucun sujet de crainte. Le médecin déclara qu’il fallait faire dîner son malade, et se retira en disant qu’il ne reviendrait le lendemain que pour l’acquit de sa conscience.

M. de Boisguilbault, pendant ces détails, observait attentivement la figure de M. Cardonnet. Il lui trouva un air de triomphe plutôt qu’un air de joie. Sans doute l’industriel avait tremblé à l’idée de perdre son fils, mais, cette crainte évanouie, la victoire était remportée : Émile pouvait supporter la douleur.

De son côté, M. Cardonnet observait la tournure bizarre du marquis et la trouvait souverainement ridicule. Sa gravité et sa lenteur à parler l’impatientaient d’autant plus que M. de Boisguilbault, plus embarrassé au fond qu’il ne voulait le paraître, ne fit que dire des lieux communs d’un ton sentencieux. L’industriel le salua, au bout de peu d’instants, et sortit pour retourner à ses affaires. Madame Cardonnet, devinant alors, à l’inquiétude d’Émile, qu’il désirait s’entretenir avec son vieil ami, les laissa ensemble, après avoir recommandé à son fils de ne pas trop parler.

« Eh bien, dit Émile au marquis lorsqu’ils furent seuls, vous pouvez m’apporter la couronne du martyre ! J’ai passé par l’épreuve du feu ; mais Dieu protège ceux qui l’invoquent, et j’en suis sorti net et sans brûlure apparente : un peu brisé, à la vérité, mais calme et plein de foi en l’avenir. Ce matin, j’ai déclaré à mon père, dans toute la plénitude de ma raison et de ma tranquillité d’esprit, ce que je lui avais déclaré dans l’agitation et peut-être dans le délire de la fièvre. Il sait maintenant que