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DE M. ANTOINE.

« Mais appuyez-vous donc sur mon bras, lui dit le marquis ; vous paraissez souffrante et vous ne voulez pas que je vous aide ! »

Quand on fut au pied de la colline de Châteaubrun, M. de Boisguilbault, qui semblait s’être oublié jusque-là, commença à donner des signes d’agitation et d’inquiétude, comme un cheval ombrageux. Il s’arrêta tout à coup et dégagea doucement le bras de Gilberte du sien, pour le passer sous celui du charpentier.

« Je vous laisse à votre porte, dit-il, et avec un ami dévoué. Je ne vous suis plus nécessaire, mais j’emporte votre promesse d’user de mes livres.

— Que ne puis-je vous emmener plus loin ! dit Gilberte d’un ton suppliant ; je consentirais à n’ouvrir un livre de ma vie, quoique ce fût une grande privation pour moi !

— Cela m’est malheureusement impossible ! répondit-il avec un soupir : mais le temps et le hasard amènent des rencontres imprévues. J’espère, mademoiselle, que je ne vous dis pas adieu pour toujours ; car cette pensée me serait fort pénible. »

Il la salua et retourna s’enfermer dans son chalet, où il passa une partie de la nuit à écrire, à ranger des papiers, et à regarder le portrait de la marquise.

Le lendemain, à midi, M. de Boisguilbault mit son habit vert à la mode de l’empire, sa perruque la plus blonde, des gants et une culotte de peau de daim, des demi-bottes à l’écuyère armées de courts éperons d’argent en cou de cygne. Un domestique, en grande tenue d’écuyer, lui amena le plus beau cheval de ses écuries, et montant lui-même un cheval de suite presque aussi parfait, le suivit au petit trot, sur la route de Gargilesse, portant une cassette légère passée à son bras à l’aide d’une courroie.