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DE M. ANTOINE.

ce danger pour être venue faire acte de fierté et de désintéressement auprès de lui. Il la releva, la porta sur un fauteuil, et lui dit en frottant ses mains glacées :

« Remettez-vous, mademoiselle de Châteaubrun ; tranquillisez-vous, je vous en conjure ! vous êtes ici en sûreté, et vous y êtes la bienvenue.

— Gilberte ! s’écria le charpentier lorsqu’il reconnut, en entrant, la fille d’Antoine : ma Gilberte ! Dieu du ciel ! est-ce possible ! Ah ! si j’avais su cela, je ne l’aurais pas épargné, ce misérable ! mais il n’est pas bien loin, et il faut que je le tue ! »

Transporté de fureur, il allait retourner à la poursuite de Galuchet, lorsque le marquis et Gilberte, un peu ranimée, le retinrent. Ce ne fut pas sans peine, Jean était hors de lui. Enfin, le marquis lui fit comprendre que, dans l’intérêt de la réputation de mademoiselle de Châteaubrun, il ne devait pas pousser plus loin sa vengeance.

Cependant le marquis continuait à être fort embarrassé vis-à-vis de Gilberte. Elle voulait partir, il désirait, au fond du cœur, qu’elle restât plus longtemps, et il ne pouvait se résoudre à le lui dire, qu’en alléguant le besoin qu’elle avait de se reposer encore et de se remettre de son émotion. Mais Gilberte craignait d’inquiéter encore une fois ses parents, et assurait qu’elle se sentait la force de s’en aller. Le marquis offrait sa voiture ; il offrait de l’éther ; il cherchait un flacon et ne le trouvait pas ; il s’agitait autour d’elle ; il cherchait surtout ce qu’il pourrait lui dire pour répondre à sa lettre et à sa démarche ; et quoiqu’il ne manquât ni d’usage ni d’aisance lorsqu’une fois son parti était pris, il était plus gauche et plus embarrassé qu’un jeune écolier débutant dans le monde, lorsqu’il était en proie aux irrésolutions pénibles de son caractère.