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LE PÉCHÉ

fendre le crâne à Pierre… Et puis… et puis !… je n’ai jamais rien dit. J’ai pleuré, j’ai prié Dieu ! Ah ! que j’ai souffert ! J’ai battu ma femme, sous prétexte qu’elle rangeait mal la maison ; j’ai tiré les oreilles du petit, sous prétexte qu’il faisait trop de bruit aux miennes ; j’ai cherché querelle à Pierre pour une partie de quilles, et j’ai failli lui casser les deux jambes avec la boule. Et puis, quand tout le monde pleurait, je pleurais aussi, et je me regardais comme un scélérat. J’ai élevé l’enfant et je l’ai pleuré ; j’ai enterré la femme et je la pleure encore ; j’ai conservé l’ami et je l’aime toujours… Et voilà comment les choses ont fini pour moi. Qu’en dites-vous ? »

M. de Boisguilbault ne répondit pas. Il parcourait la chambre et faisait crier le parquet sous ses pieds.

« Vous me trouvez bien lâche et bien sot, je parie, dit le charpentier en se relevant ; mais vous voyez bien, du moins, que vos peines n’approchent pas des miennes ! »

Le marquis se laissa tomber sur son fauteuil et garda le silence. Des larmes coulaient lentement sur ses joues.

« Eh bien, monsieur de Boisguilbault, pourquoi pleurez-vous ? reprit Jean avec une grande candeur : vous voulez donc me faire pleurer aussi ? Mais vous ne pourriez pas en venir à bout ! J’ai versé tant de larmes de colère et de chagrin, dans le temps, qu’il ne m’en reste plus, je gage, une seule dans le corps. Allons ! allons ! prenez votre passé en patience, et offrez votre présent à Dieu ; car il y a des gens plus maltraités que vous, vous le voyez bien ! Vous, vous aviez pour femme une belle dame bien sage, bien éduquée et bien tranquille. Peut-être qu’elle ne vous faisait pas autant de caresses et d’amitiés que j’en recevais de la mienne ; mais, au moins, elle ne vous trompait pas, et la preuve que vous pouviez dormir sur vos deux oreilles, c’est que vous la laissiez