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DE M. ANTOINE.

« Tout ce que tu fais est bien, ma fille, dit-il avec un profond soupir ; mais gare à Janille, quand elle le saura !

— Ne craignez rien, cher père, répondit la jeune fille ; nous ne lui dirons pas que je vous ai mis dans la confidence, et tout son dépit tombera sur moi seule.

— À présent, reprit M. Antoine, il faut attendre notre ami Jean, car on ne peut pas confier ces objets-là à un étourdi comme maître Charasson. »

Gilberte attendit le retour du charpentier avec d’autant plus d’impatience, qu’elle comptait recevoir par lui des nouvelles d’Émile. Elle ignorait qu’Émile fût malade. Mais, à l’idée de sa douleur, elle éprouvait une anxiété qui ne lui permettait plus de songer à elle-même, et ces jours d’absence, qu’elle avait cru pouvoir supporter avec tant de courage, lui paraissaient si longs et si sombres, qu’elle se demandait avec effroi comment Émile pourrait les endurer. Elle se flattait qu’il trouverait le moyen de lui écrire, bien qu’elle n’eût pas voulu l’y autoriser, ou du moins que le charpentier saurait lui rapporter les moindres paroles de leur entretien.

Mais le charpentier ne vint pas, et le soir arriva sans apporter aucun soulagement aux angoisses de la jeune fille. Une contrariété réelle venait s’ajouter à sa peine secrète. M. Antoine se montrait défaillant à l’endroit de la résolution que Gilberte avait prise, et qu’il avait d’abord approuvée, de refuser les dons de M. de Boisguilbault. À chaque instant il menaçait de consulter Janille, sans laquelle il n’avait jamais su prendre un parti depuis vingt ans, et Gilberte tremblait que l’impérieux veto de sa vieille amie ne vînt s’opposer à la restitution projetée.

Le lendemain, Jean ne vint pas davantage. Il travaillait sans doute pour M. de Boisguilbault, et Gilberte s’étonnait qu’étant occupé à si peu de distance, il ne devinât