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LE PÉCHÉ

— Au fait, dit M. Antoine, voilà ton existence assurée, ma fille ! Ah ! que M. de Boisguilbault sait noblement se venger ! Je savais bien, moi, ce que je disais quand je le défendais contre toi, Janille ! Prétendras-tu encore que c’est un vilain et méchant homme ?

— Nenni, monsieur, nenni ! il a du bon, je le reconnais. Allons, racontez-nous donc comment tout ça s’est passé, vous autres ! »

On en eut jusqu’à minuit à causer, à se rappeler les moindres circonstances, à se livrer à mille commentaires sur la future conduite du marquis à l’égard d’Antoine. Jean Jappeloup, trop attardé pour retourner à son village, coucha à Châteaubrun. M. Antoine s’endormit dans des rêves de bonheur, et Janille dans des rêves de fortune. Elle avait oublié Émile et les chagrins récents. « Tout cela passera, disait-elle, et les cent mille francs resteront. Nous n’aurons plus à faire à des Galuchet, quand on nous verra propriétaires d’une jolie fortune de campagne. » Et déjà elle faisait dans sa tête l’énumération de tous les jeunes hobereaux de la contrée qui pouvaient aspirer à la main de Gilberte.

« Si un roturier se présente, pensait-elle, il faudra qu’il ait au moins pour deux cent mille francs de propriétés au soleil ! » Et elle mit sous son traversin la clef de l’armoire où elle avait serré le pot au lait de Gilberte.

Gilberte, cédant à une fatigue extrême, finit par s’endormir aussi, après avoir pris une grande résolution. Le lendemain, elle causa longtemps avec son père à l’insu de Janille, puis elle demanda à cette dernière de lui laisser emporter les présents de M. de Boisguilbault dans sa chambre, pour les regarder à son aise. La bonne femme les lui remit sans méfiance, car Gilberte se voyait cette fois dans la nécessité de dissimuler avec son opiniâtre gouvernante ; puis elle écrivit une lettre qu’elle montra à son père.