Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
DE M. ANTOINE

les fleurs sauvages et les herbes vagabondes, l’humble mousse et la fraise des bois, le cresson au bord d’une eau sans lit, et le lierre sur un rocher, qui, depuis des siècles, obstruait le sentier sans éveiller les soucis de la police. Enfin, il aimait ces branches qui traversent le chemin et que le passant respecte, ces fondrières où murmure la grenouille verte, comme pour avertir le voyageur, sentinelle plus vigilante que celle qui défend le palais des rois ; ces vieux murs qui s’écroulent au bord des enclos et que personne ne songe à relever, ces fortes racines qui soulèvent les terres et creusent des grottes au pied des arbres antiques ; tout cet abandon qui fait la nature naïve, et qui s’harmonise si bien avec le type sévère et le costume simple et grave du paysan.

Mais qu’au milieu de ce cadre austère et grandiose, qui transporte l’imagination aux temps de la poésie primitive, apparaisse cette mouche parasite, le monsieur aux habits noirs, au menton rasé, aux mains gantées, aux jambes maladroites, et ce roi de la société n’est plus qu’un accident ridicule, une tache importune dans le tableau. Que viennent-ils faire à la lumière du soleil, vos vêtements de deuil, dont les épines semblent se rire comme d’une proie ? Votre costume gênant et disparate inspire alors la pitié plus que les haillons du pauvre ; on sent que vous êtes déplacé au grand air et que votre livrée vous écrase.

Jamais cette remarque ne s’était présentée aussi vivement à la pensée d’Émile que lorsque Galuchet lui apparut, le chapeau à la main, gravissant la colline avec un mouvement pénible qui faisait flotter ridiculement les basques de son habit, et s’arrêtant pour épousseter avec son mouchoir les traces de chutes fréquentes. Émile eut envie de rire, et puis, il se demanda avec colère ce que la mouche parasite venait faire autour de la ruche sacrée.