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DE M. ANTOINE.

d’autres… Quant à elle, dit-il en désignant Gilberte, elle n’a eu besoin de personne. Je m’y attendais bien ! Dès le premier moment, son parti a été pris, et m’est avis que c’est assez joli pour son âge d’avoir eu cette force-là, bien que vous paraissiez n’y pas faire grande attention ! »

Le marquis hésita, et marcha encore sans rien dire ; puis il s’arrêta près de la fenêtre, l’entrouvrit, et dit, en revenant à Gilberte :

« La pluie est passée, je crains que vos parents ne soient inquiets de vous, je… je ne veux pas vous retenir plus longtemps ce soir… mais… nous nous reverrons, et je serai mieux préparé à causer avec vous… car j’ai beaucoup de choses à vous dire.

— Non, monsieur le marquis, répondit Gilberte en se levant, nous ne nous reverrons jamais ; car il faudrait vous tromper encore, et cela me serait impossible. Le hasard m’a fait vous rencontrer, et j’ai cru remplir un devoir en vous rendant quelques soins bien humbles que mon cœur me commandait. Jusque-là je n’avais pas été coupable, je vous en fais juge vous-même, car pour vous les faire accepter, il fallait mentir ; et, d’ailleurs, mon père m’avait fait jurer que je ne vous importunerais jamais de sa douleur, de son repentir d’une offense qu’il vous a faite et que j’ignore, de son affection pour vous, qui est restée comme une plaie douloureuse au fond de son âme !… Dans mes rêves d’enfant, j’avais formé souvent le projet de venir me jeter à vos pieds, de vous dire : « Mon père souffre, il est malheureux à cause de vous. S’il vous a offensé, prenez en expiation de ses torts, mes pleurs, mon abaissement, ma soumission, ma vie, si vous voulez ! mais tendez-lui la main, et foulez-moi aux pieds, je vous bénirai encore, si vous ôtez du cœur de mon père le chagrin qui le ronge et le poursuit jusque dans son sommeil. » Oui, voilà le songe dont je m’étais bercée au-